L’espoir, l’expérience et le dégoût

Publié le par CPPN

Le présent billet, cela fait longtemps que je l’ai en tête.

C’est l’article que j’avais prévu de rédiger dans l’entre-deux tours de la présidentielle pour expliquer où j’en étais de ma réflexion et de mon choix. Quand j’ai commencé à réfléchir à ce que je pourrais écrire sur le sujet, j’avais une idée assez précise de ce que j’y noterai.

Aujourd’hui, mes intentions sont beaucoup moins claires et j’ignore encore ce que je ferai dimanche prochain.

J’hésite entre deux options : m’abstenir ou voter Hollande. Je déciderai sans doute le 6 mai.

Je n’ai pas prévu de dire explicitement, sur ce blog, ce que je ferai. J’ai juste envie de mettre par écrit où j’en suis de ma réflexion.

 

 

 

Il existe de réels motifs pour espérer quelque chose d’une présidence de François Hollande. Il a été l’auteur du discours du Bourget qui laissait augurer une prise en compte des vraies raisons de la crise économique actuelle et une volonté de s’y attaquer. Bien sûr, pour reprendre l’adage pasquaïen (ou chiraquien, les sources divergent) : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient », mais on peut espérer que pour éviter une déroute totale aux élections suivantes, un François Hollande président devrait être obligé de tenir au moins quelques uns de ses engagements. On peut se souvenir que le passage de la gauche au pouvoir a amené des avancées importantes en matière sociales même s’il y a eu beaucoup de renoncements également et beaucoup de mesures semblant être anodines sur le moment et qui se sont révélées désastreuses. Certains membres ou proches du parti socialiste développent des analyses vraiment intéressantes, c’est le cas de Thomas Piketty sur la fiscalité ou de Gérard Filoche sur le Droit du travail, peut-être auront-ils une place leur permettant de peser un peu sur les choix politiques ; et même s’ils ne font pas partie des proches du candidat PS, ils auront toujours plus d’influence avec François Hollande président qu’avec Nicolas Sarkozy. On peut ajouter également qu’il y a des points, notamment sur des questions sociétales importantes, sur lesquels on peut légitimement penser qu’on verra des avancées par rapport à la présidence Sarkozy : droit des étrangers en France, égalité de droit pour tous les couples qu’ils soient hétéro ou homo...

Ca, c’est pour l’aspect globalement rationnel des arguments pro-vote Hollande.

 

A cela, il faut ajouter d’autres éléments qui me poussent à aller voter Hollande qui sont tout sauf rationnels. Bien que je sois né dans une famille où l’opinion (très) majoritaire oscille entre la tradition démocrate-chrétienne (pour mes parents) et le poujadisme (pour un paquet de mes oncles, tantes et cousins), je suis de gauche. D’abord de centre-gauche, presque honteusement, en réaction au balladurisme triomphant de mes années de lycéen, puis, au fur et à mesure que je lisais, réfléchissais, me forgeais mes opinions et me socialisais politiquement, je me suis progressivement radicalisé et j’ai mieux assumé mes positions (ce qui vous laisse imaginer l'ambiance dans certains repas de famille). De cette construction progressive est né le sentiment d’appartenance à un camp, pas un camp imperméable ou exclusif, pas un camp du bien contre un camp du mal, mais - malgré tout - un camp. Ce sentiment d’appartenance a une dimension tripale, irréfléchie et qui provoque des effets absurdes dont j’ai bien conscience quand j’y pense mais cela ne les empêche pas d’exister. C’est exactement la même chose que mon attachement aux équipes sportives françaises : je ne suis pas nationaliste, je considère que la nation telle qu’on l’entend aujourd’hui est une construction socio-historique assez récente mais mettez-moi devant un match de foot dans laquelle joue une équipe française et je me mettrai à soutenir l’équipe française dans 99% des cas. Jolie victoire des appareils idéologiques d’État.

Pour la gauche, c’est pareil : lorsque je voyais, le 1er octobre dernier et les jours qui ont suivi, des titres annonçant que le Sénat « basculait à gauche », j’étais vraiment content.

A chaque fois !

Il ne me fallait pas deux secondes pour me souvenir de quelle « gauche » il était question – et au cas où j’aurais oublié, la majorité socialiste du Sénat s’illustra rapidement en adoptant en première lecture une loi contre les nounous voilées – mais malgré tout, sur le coup, j’étais content. « On » avait gagné. François Hollande pourrait bénéficier de ce réflexe globalement panurgique que je peine à réprimer et qui me fait sans doute espérer davantage qu’il ne le faut d’une présidence PS.

 

De l’autre côté, il y a l’expérience des déceptions qui me pousse à m’abstenir. En premier lieu, il y a le souvenir des trahisons historiques du PS par rapport aux objectifs qu’il prétendait défendre : la désindexation des salaires sur l’inflation qui a permis une diminution continue de la part des revenus du travail dans le PIB depuis 1982, la libéralisation des marchés financiers et de la Bourse de 1984 par le duo Bérégovoy-Naouri, les clauses piégées du Traité de Maastricht dont on n’a compris la portée que bien (trop) tard, les privatisations massives de l’époque Jospin, la libéralisation du secteur de l’énergie en Europe en 1999 et tant d’autres. Il y a eu également la conversion de la « gauche plurielle » à la doxa sécuritaire inspirée des penseurs conservateurs US et dont les idées sont bien portées par les deux prétendants au poste de ministre de l’Intérieur de François Hollande : Manuel Valls, qui depuis la note que j’avais consacré à ses proximités idéologiques avec Sarkozy (via Alain Bauer) a réussi à aller encore plus loin en faisant expulser un camp de Roms de sa ville en plein hiver, et François Rebsamen, l’ancien administrateur de la banque DEXIA qui veut envoyer l’armée pour rétablir « l’ordre » dans les quartiers.   

 

La tendance social-libérale du Parti socialiste serait très probablement surreprésentée dans un prochain gouvernement PS en cas de victoire de François Hollande car, non seulement, elle est déjà dominante au sein des instances dirigeantes du parti mais, en plus, François Hollande en est directement issu. Il est l’héritier et une des petites mains du tournant de la « rigueur de gauche » de 1983 et il a été présenté par Jacques Attali à François Mitterrand ; un Jacques Attali qui après avoir été, pour Sarkozy, l’auteur d’un rapport ultralibéral écrit en partenariat avec des patrons, des lobbyistes et ses amis personnels, appelle à voter pour François Hollande qu’il juge plus à même de porter les (contre-)« réformes » qu’il appelle de ses vœux. Le 1er mai dernier, alors que les défilés se multipliaient et opposaient les défenseurs du Droit du travail et des acquis sociaux à ceux qui se prétendent les défenseurs du « vrai » travail tout en favorisant fiscalement les détenteurs du capital, François Hollande préféra s’éloigner et rendre hommage à Pierre Bérégovoy, l’homme de la libéralisation boursière. On pourra m’objecter qu’il s’agissait de l’anniversaire de sa mort mais cet anniversaire n’avait pas été commémoré ainsi les années précédentes.

Tout porte à croire qu’un François Hollande élu président devra choisir entre les promesses qu’il a faites à ses électeurs et les aspirations des marchés financiers (comme on appelle le lobby bancaire et les spéculateurs en novlangue). Il s’est déjà montré rassurant avec ces derniers dans une interview au Guardian pendant la campagne et en envoyant un émissaire au Forum de Davos. Certains analystes de banques d’affaires, comme Nicolas Doisy, « chief economist » pour Cheuvreux, société conseillant 1200 banques, fonds de pension et fonds d'investissement, estiment qu’au moment du choix François Hollande privilégiera « les marchés » et s’attaquera au Droit du travail.

 

 

 

 

A cela, il faut ajouter des convergences réelles et problématiques avec le président sortant. Tout porte à croire que le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN décidé par Nicolas Sarkozy ne sera pas remis en cause par un François Hollande président. De même, la position assez équilibrée de la France dans le conflit israélo-arabe (bien que souvent hypocrite) qui avait prévalu jusqu’à l’arrivée de Nicolas Sarkozy semble appartenir au passé. Le réalignement en faveur d’Israël opéré par le président sortant ne devrait pas être profondément altéré. Bien que les mouvements ultra-sionistes jouent à se faire peur et décrivent un François Hollande « otage » d’un Jean-Luc Mélenchon présenté comme un antisioniste fanatique (ce qu’il n’est pas) et que Richard Prasquier, du CRIF, ait indirectement appelé à voter Sarkozy (tout en s’en défendant maladroitement), François Hollande a, de longue date, multiplié les déclarations d’amour à Tel-Aviv et a manqué bien peu de dîners du CRIF. Le 30 janvier dernier, accompagné de Pierre Moscovici et Manuel Valls, François Hollande avait reçu le CRIF pour assurer que le PS était le parti français où Israël comptait le plus d’amis et que ce pays était attaqué de toute part non pas à cause de sa politique coloniale mais parce qu’il s’agissait d’une « grande démocratie ». Il reprenait ainsi la vulgate bushienne post-11 septembre qui veut que les pays «occidentaux » soient la cible des terroristes en raison de la haine de ces derniers pour LA démocratie.

De surcroît, lors de cette campagne, François Hollande a démontré que la présentation de l’immigration comme un « problème » fait désormais consensus au Parti socialiste. Le PS a également fait des appels du pied aux électeurs du FN, Ségolène Royal assurant au Monde que : « Les habitants des quartiers populaires qui s'inquiètent des flux migratoires clandestins ne sont pas des racistes » et François Hollande déclarant sur BFM TV, qu’« il y a trop d'immigrés en situation irrégulière ». Une adaptation du discours qui semble montrer qu’il ne faut pas compter sur un PS au pouvoir pour réaliser un travail idéologique allant à l’encontre de la politique de bouc émissaire qui prévaut depuis des décennies quand il est question des étrangers vivant en France.

Il faut ajouter à cela une convergence entre Nicolas Sarkozy et François Hollande concernant l’orientation de l’Union européenne. Les deux hommes avaient fait campagne ensemble pour le Traité Constitutionnel Européen en 2005.

 

 

Faisant fi du vote des électeurs français, Nicolas Sarkozy a présenté de nouveau ce texte, à peine modifié et toiletté sous la forme du Traité de Lisbonne, aux parlementaires français qui l’ont voté. François Hollande faisait partie des parlementaires qui ont renoncé à respecter le choix exprimé par les citoyens en 2005.

Tout ces éléments, et d’autres, comparés aux maigres espoirs que faisait naître en moi la candidature Hollande me poussaient à m’abstenir. Cela serait une bonne façon de signaler à un Parti socialiste se comportant de plus en plus comme un parti de droite complexée face à la droite décomplexée de Nicolas Sarkozy que, non, le vote de gauche ne lui est pas acquis quoi qu’il fasse.

 

Voilà où j’en étais dans les premiers temps de la campagne présidentielle.

 

A l’origine, cette note devait simplement s’appeler « l’espoir et l’expérience » mais elle a évolué en chemin.

 

En effet, dans un second tour d’une élection présidentielle, on ne vote pas que « pour », on vote aussi « contre ». Et alors que la figure seule de François Hollande me pousse à m’abstenir, le dégoût que m’inspirent la campagne et la politique menées par Nicolas Sarkozy me fait réévaluer ce choix qui me semblait pourtant bien ancré.

 

Je n’avais pas souvenir qu’un candidat en mesure de l’emporter à une élection présidentielle en France ait été aussi loin dans la haine de classe, les appels au « rassemblement » excluant de facto de la communauté nationale les citoyens issus de l’immigration et les pauvres, ou encore la stigmatisation raciste des étrangers vivant en France comme une entité homogène et malveillante parce que musulmane. Bien sûr, et ce n’est pas pour me déplaire, les sondages le donne perdant. Le fait que nombre de courtisans médiatiques qui louaient hier le « courage » sarkozyste et son « dynamisme » se mettent soudain à trouver plus de vertus à François Hollande, comme Christophe Barbier assurant que François Hollande a indiscutablement gagné le débat de l’entre-deux tours, me laisse imaginer que certains propriétaires des grands médias ne voient plus Sarkozy comme le prochain président et préparent l’avenir.

Mais malgré tout rien n’est joué. Le cœur de cible de la campagne sarkozyste, la petite bourgeoisie terrifiée par le déclassement social, peut avoir un réflexe frileux de dernière minute. Elle peut considérer, fidèle à ses représentations et à son imaginaire, que la classe moyenne est toujours la victime de l’État mais qu’avec Hollande ce sera pire.

 

Bref, j’ai très peu d’espoirs concernant une présidence Hollande et une forte envie de refuser d’un même geste deux candidats qui partagent de nombreux points communs, qui ont bafoué le résultat du référendum de 2005 et dont je me méfie fortement. Toutefois, le dégoût que m’inspire Nicolas Sarkozy pourrait bien m’inciter in fine à voter François Hollande ou plutôt, pour reprendre l’expression de Jean-Luc Mélenchon ou Philippe Poutou quand ils jouent au ni oui, ni non, ni François Hollande : à utiliser le seul bulletin disponible pour battre Sarkozy.

 

Je ne suis pas encore sûr de ce que je ferai dimanche.

 

Je sais en revanche ce qu’il faudra faire à partir de lundi, quel que soit le résultat de l’élection : surveiller les actions du gouvernement et du président avec une attention renouvelée. Parce que les mesures d’austérité, les attaques contre le Droit du travail et le détricotage des grandes réformes sociales de la période 1945-1968 qui ont été mis entre parenthèse pendant la campagne vont reprendre très rapidement.

L’histoire française démontre qu’une élection, même une victoire de la gauche s’appuyant sur un programme bien plus social que celui du candidat Hollande, n’a jamais produit d’effets à long terme sans une mobilisation populaire imposant au gouvernement de respecter ses engagements et les acquis sociaux.

Une position qui, je m’en rends compte, incite davantage à voter Hollande qu’à s’abstenir puisque s’il est possible qu’un gouvernement PS plie sous la pression de la rue, un gouvernement Sarkozy, comme pour les retraites, ne cèdera rien.

 

Bref, pour reprendre l’expression en Une du journal Fakir diffusé le 1er mai dans les défilés :

 

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C
Fidèle à son théorème (« toute réussite s’explique par l’Europe ; tout échec est imputable au manque d’Europe ; toute réussite et tout échec appellent davantage d’Europe. »), Bernard Guetta s'est<br /> réjoui, dans sa chronique matinale, de la victoire de François Hollande au nom de "l'Europe" http://www.franceinter.fr/emission-geopolitique-hollande-l-europeen<br /> <br /> Il résume en quelques lignes les motifs d'espérance qu'il trouve dans le parcours idéologique de François Hollande et je me rend compte que tous ses motifs d'espoir sont mes motifs de craintes :<br /> "Venu de ces terres de l’Ouest catholique qui avaient basculé de droite à gauche dans les années 70 et fait la victoire de la gauche en 1981, François Hollande appartient à une nouvelle génération<br /> socialiste, beaucoup moins imprégnée de marxisme que de christianisme, plus sociale qu’utopiste et parfaitement compatible avec la démocratie chrétienne européenne ou François Bayrou en France.<br /> Fils spirituel de Jacques Delors, il peut être le nouveau Delors dont l’Europe a tant besoin, l’homme capable de sceller des compromis entre droites et gauches européennes et de donner, comme il le<br /> dit, « un nouveau départ à l’Europe »."<br /> <br /> Excitant, non ?
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G
FAIT PAS LE CON VOTE HOLLANDE
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