Révélation !

Publié le par CPPN

Il aura fallu attendre l’avant-veille du premier tour pour qu’enfin je comprenne ce que la présente campagne électorale révèle de notre pays. Cela m’est apparu en passant devant un kiosque à journaux dans la rue, hier matin.

Cela a été une révélation.

Une épiphanie.

Tout d’un coup, j’ai compris.

 

 

Ma récente paternité et son corollaire de nuits courtes et/ou hachées ne m’ont pas permis de suivre la campagne électorale avec une grande assiduité (et m’ont empêché d’écrire sur ce blog aussi, comme les plus perspicaces d’entre vous l’auront noté). Alors que, d’ordinaire, j’essaye de multiplier la lecture d’articles et de sites d’informations différents sur un sujet, le manque de temps m’a fait regarder la campagne de loin avec comme principales sources les grands médias mainstream. C’est sans doute pour cela (ou parce que j’étais aveuglé par mes présupposés gauchisants obsolètes) que je n’avais pas compris le grand enseignement de la campagne électorale.

Avant hier matin, j’avais l’impression qu’aucun thème majeur n’avait réellement émergé des débats, les candidats promis à la victoire par les sondages et – dans la foulée – par les médias grand public (à moins que ce soit le contraire) passant d’un sujet à l’autre très rapidement et traitant, comme s’il s’agissait de questions d’égales importances, de la réforme du secteur financier et du prix du permis de conduire.

 

Mais j’avais tort, ce n’est pas ça le grand enseignement de la campagne.

 

Avant hier matin, je croyais que Nicolas Sarkozy et l’UMP poursuivaient leur auto-présentation en défenseurs du « peuple » tout en continuant d’opposer entre eux les classes populaires pour mieux masquer l’accroissement des inégalités économiques et les cadeaux aux plus riches. C’est comme cela que j’avais interprété le lancement de campagne de Nicolas Sarkozy avec sa grande interview du Figaro magazine du 10 février 2011 dans laquelle il annonçait de nouvelles mesures contre les chômeurs et les immigrés, les livrant à son électorat comme la cause des maux de la France. Valérie Pécresse allait dans le même sens quand elle corrélait le montant de la dette française avec les seules dépenses socialesLes spots de campagne de Nicolas Sarkozy continuent sur ce thème puisque le président candidat déclare qu’il faut lutter contre « l’assistanat » et qu’il n’est pas normal que ceux qui ne travaillent pas gagnent plus que ceux qui travaillent, remarque qui a dû faire rire un certain nombre de rentiers de Neuilly. Dans le même temps, Nicolas Sarkozy ne perdait pas ses bonnes vieilles habitudes et, juste avant de rassembler ses 100 ou 120 000 fans place de la Concorde (à moins qu’ils aient été un tout petit peu moins nombreux), il réunissait ses riches donateurs privés dans un petit hôtel tout proche, très prisés des démocrates africains : le Crillon.

 

Mais j’avais tort, ce n’est pas ça le grand enseignement de la campagne.

 

Avant hier matin, je croyais que l’un des enseignements de la campagne était que le PS poursuivait sa course vers le centre-droit et n’opposait aucune confrontation idéologique au président sortant, présentant contre l’UMP un programme différent de celui de la majorité sortante en degrés mais pas en nature. Alors que l’UMP brocarde « l’assistanat », le PS lui répond mollement, dénonçant les excès du propos sarkozyste. Une position tiède qui n’est pas illogique puisque la candidate PS en 2007 avait dénoncé elle-aussi « l’assistanat » dans sa campagne et que la déclaration de principe du Parti socialiste, approuvé par 84% des militants, en 2008 annonçait : « les socialistes refusent une société duale où certains tireraient leurs revenus de l'emploi et d'autres seraient enfermés dans l'assistance ». C’est vrai que cela doit être ça la grande fracture française. François Hollande s’en est certes pris au monde de la finance dans son discours du Bourget du 22 janvier mais, dans la foulée, il a envoyé un émissaire au forum économique de Davos (info France-Inter, journal de 13 heures, 27 janvier) pour rassurer les élites financières et il se montra à nouveau fort accommodant avec ces dernières dans l’interview qu’il accorda au GuardianDans son livre, « De quoi Sarkozy est-il le nom ? » (Editions Lignes, 2007), Alain Badiou estimait que la campagne de 2007 avait été centrée sur la peur : Sarkozy avait manié la peur (la peur du pauvre, de l’immigré, du délinquant, etc.) et Ségolène Royal la peur de la peur (c’est-à-dire la peur que pouvait inspirer à une partie de l’électorat les excès politiques engendrés par l’utilisation de la peur par le camp d’en face). Cette analyse s’applique bien à la présente campagne même si cette stratégie a plus de chance de fonctionner pour le PS cette année (sans certitude ceci dit). En effet, ce parti peut s’appuyer sur l’exaspération croissante de la population vis-à-vis du sarkozysme, sur la lassitude suite à dix ans de gouvernements de droite et sur l’image résiduelle, héritée de son histoire mais reposant sur de moins en moins d’éléments factuels contemporains, d’un PS comme parti de gauche. Mais la peur de la peur et la revendication de la « normalité » de son candidat ne façonne pas un contre-projet.

 

Mais j’avais tort, ce n’est pas ça le grand enseignement de la campagne.

 

Avant hier matin, je pensais que l’un des enseignements de la campagne, c’est qu’il suffit d’un fait divers, indéniablement choquant, pour que l’instrumentalisation de la peur de du terroriste islamiste revienne au galop (en même temps, ce thème n’était pas parti très loin ni depuis bien longtemps puisque peu de temps auparavant le candidat de la droite dite républicaine assurait que le « Hallal est le premier sujet de préoccupation des Français » ). Acrimed avait montré, en comparant les Unes de différents titres au lendemain des attentats de Madrid (2004) ou de Londres (2005) à celles suivant la tuerie d’Oslo de l’été dernier, que lorsque les actes terroristes ne sont pas « islamistes » ils intéressent bien moins la presse (et ne parlons même pas des cas où les victimes sont musulmanes et le coupable occidental comme lors du massacre de 17 civils afghans à Kandahar). A titre d’exemple, ni Le Point ni L’Express (deux grands pourfendeurs de « l’islamisme ») n’avaient fait leur Une sur les crimes d’Anders Behring Breivik en Norvège cet été, leur préférant deux actualités d’une plus grande importance qui ne souffraient aucun retard dans leur traitement.

 

juxtaposition réalisée par Acrimed

 

Suite aux sept morts de Toulouse et de Montauban, il n’en fut pas exactement de même.

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Les éditorialistes de droite s’en donnèrent à cœur joie sur le sujet, certains comme Paul-Henri  du Limbert, du Figaro, allant jusqu’à estimer que la tuerie de Toulouse ramenait la gauche au « principe de réalité » et devait la forcer à reconnaître l’ampleur de la menace islamiste. Gilles-William Goldnadel dénonça le 26 mars, puis le 6 avril, dans Atlantico l ‘aveuglement de la gauche face à cette menace. Ce même Goldnadel ne suscita pas de tollés chez les représentants du PS et de l’UMP présents quand, peu de temps après, lors d’un repas organisé par « les amis d’Israël », il présenta Mohammed Merah non comme un salafiste, un intégriste ou un déséquilibré mais comme « un jeune musulman », tout juste s’il n’en parlait pas comme d’un cas typique . Le 21 mars, au 13 heures de France Inter, lorsque Jean-Luc Mélenchon déclara que l’affaire Merah ne devait pas servir de prétexte aux amalgames ou à un renforcement, un de plus, des mesures antiterroristes car rien ne pouvait empêcher l’acte d’un fou isolé, l’intervieweur s’étonna que le candidat du Front de gauche ne réponde que cela à « l’inquiétude des Français ». Bien sûr, il y a eu de courageux éditorialistes pour déclarer que – eux !- ils affronteraient les amalgames et les pourfendraient mais beaucoup ont eu du mal à tenir ce bel engagement sur la durée. Ainsi, Caroline Fourest (oui, je sais, encore) avait, dès l’identité du tueur communiquée par la police, redouté (sur Facebook) que cela ne fasse déraper la campagne et ne favorise les amalgames.

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Dans sa chronique du Monde du 24 mars, elle s’était inquiétée pour « Ceux qui ont la même origine ou la même religion que le tueur [et qui] ont peur d’être pris pour des terroristes. ».

Quand elle a reçu de l’association Les Individisbles un Y’a bon awards, prix parodique « récompensant » les figures médiatiques alimentant les préjugés racistes, Caroline fut fort mécontente mais assura que cela ne devait pas la détourner de sa lutte (sacrée, comme tout ce qu’elle fait) contre les amalgames qui pourraient naître de l’affaire Merah.

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Hélas, tout comme l’arrêt de la cigarette ou l'arrêt de la lecture des éditos de Caroline Fourest, l’arrêt des préjugés et des amalgames est un chemin semé d’embuches où les rechutes ne sont pas rares (voyez où j'en suis !). Ainsi, Caroline, dans son texte dans lequel elle expliquait pourquoi elle allait porter plainte contre les Indivisibles associa étonnamment deux photos.

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Sans amalgames ? Rappelons que l’incendie des locaux de Charlie Hebdo n’est toujours pas élucidé.

Et dans un article pour le Huffington Post où elle s'en prenait à l’UOIF, elle dénonçait la présence à son congrès de ses vieux adversaires Pascal Boniface, Jean Baubérot ou Raphaël Lioger qui étaient allés discuter avec l’organisation musulmane : « Sans même tenir compte du drame de Toulouse ». Les Salopards !

Je pensais que ce type de réactions pouvait être un des enseignements (ou au moins une confirmation du climat intellectuel et médiatique français) que révélait la campagne.

 

Mais j’avais tort, ce n’est pas ça le grand enseignement de la campagne.

 

Avant hier matin, je pensais que l’un des enseignements de la campagne, c’était que la majorité des candidats pèsent finalement bien peu sur le cœur du débat présidentiel. En 2002, déjà, seuls Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret avaient réellement poussé la campagne vers le thème de l’insécurité et les médias avaient embrayé sur le sujet à leur suite. Lionel Jospin, qui avait certes préparé le terrain à un tel sujet pendant ses cinq années au pouvoir, et beaucoup d’autres candidats avaient été « obligés » de suivre le mouvement. Les positions sur d’autres thèmes avaient été globalement inaudibles et tous avaient été contraints dans les interviews de se positionner sur ce sujet qui « passionne les Français ». Ainsi, alors que la campagne officielle permet théoriquement une égalité du temps de parole, la conjonction des stratégies électorales de trois candidats sur 16 et des intérêts des médias mainstream avait dicté le thème « obligatoire » aux 13 autres. Aujourd’hui, sur les dix candidats, six (Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen) mettent au cœur de leur programme (qu’on croit en leur sincérité et/ou à leurs propositions ou non) leur volonté de modifier en profondeur les règles du système financier en France et/ou les traités internationaux qui encadrent ce système économique. Compte tenu de l’égalité du temps de parole théorique, les questions en lien avec le système bancaire, la Bourse, les traités européens et ceux de l’OMC devraient être au cœur de la campagne.

Ce n’est pas le cas.

 Il faut dire que la plupart de ces six candidats sont des « petits » candidats et que leur temps de parole est en (grande) partie consacré à justifier, face aux « grands » journalistes, leur présence dans l’élection. Pour ces derniers, comme Hervé Gattegno du Point, Patrick Cohen de France Inter ou Jean-Michel Apathie de RTL et de Canal +, l’égalité du temps de parole est une honte et déjà un premier pas vers la dictature. Dans ces conditions, pas de raison de traiter les « petits » de la même façon que les « grands» : les premiers seront méprisés ouvertement lors des débats (comme le fit Franz-Olivier Giesbert sur France 2) ou les sujets qu’ils tenteront d’ouvrir seront vite refermés par un expert de plateau télévisé pas toujours très juste dans ses présentations « objectives », comme Jean-Luc Mélenchon en fit l’expérience face à François Lenglet, toujours sur France 2.

 

Mais j’avais tort, ce n’est pas ça le grand enseignement de la campagne.

 

Le grand enseignement de la campagne, ce qu’elle révèle, c’est Le Point qui me l’a appris hier :

 

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Ca vous avez échappé ? Moi aussi !

En revanche, ce que je soupçonne en voyant quelques vieilles Unes du Point :

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C’est qu’au rayon de la haine de classe, Le Point ne partage pas exactement le même type d’aversions que celle qu’il croit déceler dans la campagne.

Peut-être même que ça influe un peu sur son jugement et son traitement de la campagne.

 

Et peut-être même qu'il n'est pas le seul.

 

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PS : Merci beaucoup à Jérémy C. qui m'a signalé (à moi et à d'autres) beaucoup des articles en lien hypertexte dans cette note. Lors de ma période de vaches maigres informatives, il m'a largement permis de ne pas perdre le fil.

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